Lettre ouverte sur l’avenir des CNP

Lyon, le 25 mai 2009

Nous sommes membres des Inattendus, association lyonnaise de programmation, de réalisation et d’enseignement du cinéma, qui organise tous les deux ans le festival du même nom.

Par la présente lettre, nous souhaitons exprimer notre inquiétude quant au sort des salles de cinéma CNP dont l’avenir, malgré leur importance capitale pour la culture et la cinéphilie lyonnaises depuis leur création en 1967, semble gravement compromis.

Les cinéphiles lyonnais ont une dette à l’égard des CNP et de Marc Artigau, qui les dirige et les programme depuis vingt ans. C’est dans cet ensemble de huit salles, réparties sur trois sites au cœur de la ville (le CNP Bellecour, le CNP Odéon et le CNP Terreaux) qu’ils ont pu découvrir les cinéastes et les cinématographies de tous pays, de toutes époques et de tous styles.

Les œuvres de cinéastes unanimement reconnus de nos jours, c’est dans ces salles qu’ils en ont vu les premières manifestations filmiques, quand ils étaient considérés comme « confidentiels » ; c’est là qu’ils ont pu en suivre, pas à pas, le développement et l’accomplissement. L’idée selon laquelle le territoire du cinéma, loin de se limiter à la France et aux Etats-Unis, est aussi ouvert et divers que celui représenté par une carte du monde, c’est dans ces salles qu’ils l’ont vue se concrétiser. La conception non amnésique d’une cinéphilie qui ne se conjuguerait pas seulement au temps de l’actualité mais aussi à celui des œuvres du passé, c’est encore là qu’ils ont pu la nourrir.

C’est enfin dans ces salles qu’a été ménagée pour les spectateurs la possibilité de rencontrer régulièrement des cinéastes à la faveur de la projection de leurs nouvelles réalisations, dans l’intention de susciter non pas des « événements » médiatico-culturels mais de véritables discussions autour d’œuvres cinématographiques.

Jusqu’aujourd’hui à Lyon, aucun autre lieu dénué de sectarisme culturel, social ou économique et répondant toutefois aux exigences d’un fonctionnement commercial n’a fait preuve d’une telle diversité dans sa proposition de cinéma. Au nom des trois principes que représente le sigle CNP (« Cinéma National Populaire », dans le sillage du TNP), c’est une haute idée de la transmission du cinéma qui y a été défendue. Ces salles ont toujours observé une cohérence éthique qui ne se borne pas au caractère pionnier et ouvert de leur programmation.

Elle se retrouve dans sa tarification, qui conjugue le souci de l’accessibilité au plus grand nombre et celui du respect économique des œuvres ; dans son mode de programmation, qui fait coexister harmonieusement les films « minoritaires » et ceux qui le sont moins en refusant de sacrifier les premiers au profit des seconds. La constante exigence de Marc Artigau a été d’offrir aux films « à risques » en termes commerciaux toutes les chances d’effectivement « rencontrer leur public », par un travail extrêmement scrupuleux sur leur durée d’exploitation, leur nombre hebdomadaire de séances et les horaires de celles-ci.

De pays parfois très éloignés, des cinéastes ont d’ailleurs spontanément exprimé leur gratitude pour la façon dont les CNP ont respecté leur travail, bien souvent ignoré ou maltraité par d’autres instances de diffusion (salles ou chaînes de télévision) pourtant étiquetées « cinéphiles ». « Démocratie culturelle », « Cinémas d’Art et Essai » et « Cinémas de Recherche », rarement de telles expressions auront trouvé une application aussi peu théorique, et sur la durée, que dans le cadre des CNP.

La situation critique dans laquelle se trouvent désormais les CNP est due à des hausses de loyer, une masse salariale importante, un ensemble de dettes auprès des distributeurs de films et la concurrence exacerbée qui s’est développée à Lyon autour des films dits « d’Art et Essai porteur », mais elle a aussi énormément pâti des pratiques de gestion de l’actuel PDG, qui a racheté les salles en 1998. Si nous vous adressons cette lettre, c’est non seulement en raison de la gravité de cette situation mais aussi de son écho dramatiquement faible (pour ne pas dire inexistant) auprès des instances et des personnes qui pourraient et devraient s’en soucier.

Il nous semble inconcevable que le souci de la continuation de l’activité des CNP ne tienne à cœur de quiconque se préoccupe un tant soit peu d’art, de culture ou de cinéma, impensable qu’une ville telle que Lyon se prive d’une contribution aussi exemplaire à ces domaines, qui ne saurait être remplacée terme à terme par aucun lieu de diffusion cinématographique existant à l’heure actuelle. C’est pourquoi, par cette lettre ouverte, nous en appelons au soutien à ces salles de la part des instances politiques et culturelles, tant nationales que locales.

Au cas où les difficultés matérielles des CNP s’avéreraient insurmontables, nous éprouverions l’impérieuse nécessité de proposer un projet de reprise, car ces salles ne peuvent pas disparaître sans que le relais en soit assuré. Réfléchi tant du point du vue économique qu’artistique, fût-ce à une échelle repensée pour un nouveau départ, nous estimons qu’il serait économiquement viable et permettrait de faire en sorte que le gouffre cinématographique que susciterait à Lyon la fin des CNP ne reste pas béant.

Le cas échéant, nous ne manquerions pas de vous recontacter afin de vous tenir informés d’un tel projet, en espérant qu’il trouverait chez vous une écoute favorable.

Pour Les Inattendus

Jean-François Buiré, Président
Jean-Pierre Sougy, Directeur artistique
Jean-Paul Lebesson
Fabrice Cavaillé

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